Sorcière
Deux sorcières. Tableau de Hans Baldung.
Une sorcière est une femme adepte ou considérée comme telle d’une forme de sorcellerie.
Désignée en grec stryx, en latin striga -ae d’où dérive le vocable médiéval stria, strega en italien, estrie en français. Le mot français sorcière, féminin de sorcier, dérive du latin vulgaire sortarius proprement « diseur de sorts », du latin classique sors, sortis, désignant d’abord un procédé de divination, puis destinée, sort. Le mot qui les désigne en allemand est Hexe dérivé du grec ancien aix, chèvre, évidente référence à un monde pastoral. Bruja, en espagnol provient du terme ibère bruixa, et plus précisément du galicien bruxa. Le mot anglais witch a des origines plus controversées mais parait bien provenir d’un radical wik d’origine tant celte que germanique.
À l’aube de l’Histoire
Une sorcière est une femme chaman. Les sagas scandinaves les appelaient Völva.
La Wicca revendique être la plus ancienne religion du monde en affirmant que les sorcières sont les héritières d’un culte dont l’origine remonte à la Préhistoire.
D’après les tenants d’une continuation entre un culte de la Déesse et la sorcellerie, et en se situant dans une vision où la chasse aurait été une activité masculine et la cueillette une activité féminine, les femmes avaient une religiosité qui avait ses modalités propres.
Si le Dieu Cornu fut la divinité des chasseurs, la divinité féminine des cueilleuses fut la Grande Déesse-Mère dont le culte, à partir du néolithique avec la sédentarisation due aux débuts de l’agriculture, deviendra prépondérant durant des millénaires, perdurant dans les premières grandes civilisations antiques sous la forme de cultes agraires rendus à des déesses telle Déméter ou Cybèle. L’existence de la Déesse-Mère est attestée dans toutes les cultures primitives puis archaïques. Les femmes, héritières des cueilleuses, ont été les promotrices de l’agriculture. Quand, au mésolithique, à la suite de changements climatiques, le gibier se fait rare et que l’homme se fait plus pêcheur que chasseur, et que les ressources alimentaires de la cueillette n’auraient plus été suffisantes pour permettre la survie d’un clan, l’apport de l’agriculture a été déterminant. Si l’homme vécut davantage en symbiose avec le monde animal durant des millénaires, la femme elle, vécut davantage en symbiose avec le monde végétal. La connaissance qu’elle pouvait avoir des plantes et de leurs propriétés, et le savoir empirique qu’elle pouvait en retirer furent l’arcane majeure d’une tradition qui se transmettra jusqu’à nos jours.
De la fécondité de la femme dépend la continuation de l’espèce, la femme est obstétricienne depuis que le monde est monde. La « sage-femme », la « guérisseuse », celle qui donne la vie et qui connaît les secrets de la vie et de la mort ainsi que l’effet des plantes sur le bien-être physique, la santé, est à l’origine de ce personnage qu’est « la sorcière ». De fait, durant les deux siècles que dureront les persécutions, c’est souvent le terme d’« herboriste » qui est utilisé dans les procès-verbaux de l’Inquisition pour la désigner.
Sorcières et magiciennes dans l’Antiquité
Les cultes de ces antiques Déesses-Mères légués par la préhistoire se retrouvent en Grèce à Éleusis. Il subsiste l’originelle proximité et l’empathie avec la Nature dans le culte agraire qui est rendu aux deux déesses Déméter et Perséphone sur lequel vient se greffer l’élément orphique, et son contraire le culte dionysiaque, plus archaïque encore, où le sacrifice du dieu, androgyne à l’origine, est rituellement et cycliquement perpétré, et symboliquement dévoré à nouveau par les Ménades, marquant la régression, en somme, du « cuit » au « cru ». Autant de caractéristiques qui survivront, diluées, amalgamées dans le culte de Diane de l’Antiquité tardive et durant tout le Moyen Âge où viendront se greffer de nouveaux éléments provenant du folklore local des divers pays d’Europe.
Égérie, Circé, Médée surtout en sont autant de prototypes, et ne sont pas très différentes de la Lilith biblique, la Lilitu des Assyriens.
Circé et Médée sont auprès des héros Ulysse et Médée, tour à tour adjuvant et opposant. Après avoir apporté à Jason une aide indispensable à sa survie et la réussite de sa quête, Médée est abandonnée par son amant et se venge de terrible façon. D’un point de vue féministe, la folie destructrice de Médée témoigne d’une condition féminine où, si elle n’est ni épouse ni hétaïre, la femme n’a plus aucun droit, plus aucune modalité d’exister sinon celle de devenir entièrement négative, ravageant ce qui l’entoure, jusqu’à en arriver à l’élimination des enfants qu’elle a eu de l’homme qui l’abandonne après lui avoir pris sa vie et s’en être servi pour satisfaire son ambition. Médée se venge du joug que l’homme lui impose, et qui est celui d’une société désormais patriarcale.
Dans une évolution inverse, Circé commence par transformer les hommes d’Ulysse en animaux avant de les libérer puis de donner des conseils critiques pour la suite du voyage.
Belles sorcières grecques, Circé retient Ulysse et Médée séduit Jason. À l’inverse, Baba Yaga de la mythologie slave est laide comme le stéréotype de la vieille sorcière et utilise comme elle des ustensiles domestiques pour se déplacer, un mortier et un pilon, le balai servant à effacer ses traces.
Le livre d’Enoch — chapitre 7
Le livre d’Hénoch est un écrit attribué à Hénoch, arrière-grand-père de Noé. Il fait partie du canon de l’Église éthiopienne orthodoxe mais est considéré comme apocryphe par les autres chrétiens et les Juifs. Le texte n’est pas inclus non plus dans la Septante.
- 1 Quand les enfants des hommes se furent multipliés dans ces jours, il arriva que des filles leur naquirent élégantes et belles.
- 2 Et lorsque les anges, les enfants des cieux, les eurent vues, ils en devinrent amoureux ; et ils se dirent les uns aux autres : choisissons-nous des femmes de la race des hommes, et ayons des enfants avec elles.
- 10 Et ils se choisirent chacun une femme, et ils s’en approchèrent, et ils cohabitèrent avec elles ; et ils leur enseignèrent la sorcellerie, les enchantements, et les propriétés des racines et des arbres.
- 11 Et ces femmes conçurent et elles enfantèrent des géants…
Le temps des grandes persécutions
Volant dans les airs à califourchon sur son manche à balai, ainsi est représentée la sorcière dans l’iconographie populaire, « image d’Épinal », recouvrant une réalité historique complexe, faite de savoir chamanique et de persécutions. Croyances anciennes dans lesquelles survivent les cultes païens de la fertilité du monde antique, que certains, dont la Wicca, font remonter à la fin du paléolithique.
Historiens et chercheurs estiment aujourd’hui le nombre de leurs victimes entre 50 et 100 000 sur les deux siècles où tant les tribunaux de l’Inquisition que ceux de la Réforme les conduisent au bûcher[réf. nécessaire]. Un chiffre élevé en proportion de la population européenne de l’époque. Et ce sont, pour 80 % de ces victimes, des femmes. Les 20 % restants étaient des hommes relevant pour la plupart de la catégorie des « errants ». Pauvres hères et vagabonds, « gens du voyage », juifs ou homosexuels.
Ces femmes (et quelques fois leurs enfants, surtout s’il s’agissait de filles), appartenaient le plus souvent aux classes populaires. Une toute petite minorité d’entre elles pouvait être considérée comme étant d’authentiques criminelles (ce fut le cas de la Voisin, sous Louis XIV, par exemple) coupables d’homicide, ou de malades mentales. La grande majorité était au contraire de tous âges et de toutes conditions, et de diverses confessions religieuses, souvent sages-femmes ou guérisseuses. Leurs remèdes se basaient sur une pharmacopée traditionnelle, breuvages, infusions ou décoctions de racines et d’herbes, les « simples ». La population, essentiellement rurale, n’avait guère d’autre recours pour se soigner. Toutes torturées, et brûlées vives, parce que jeunes, parce que vieilles, parce que femmes, le plus grand des péchés qui leur était reproché par les autorités du temps. Un moyen horrible de savoir si une femme était une sorcière consistait à la jeter nue à l’eau, les mains et pieds attachés ensemble pour l’empêcher de surnager. Une sorcière étant – en théorie- plus légère que l’eau, si elle flottait, elle était aussitôt repêchée et brûlée vive. Si elle se noyait, c’est qu’elle était morte innocente. H.P. Duer, professeur d’ethnologie allemand, dans son ouvrage Nudité et pudeur, estime que cette pratique, si choquante par l’exhibition qu’elle provoquait, fut peu utilisée. Mais il y a plusieurs textes et dessins démontrant que cela a existé plusieurs dizaines d’années au Moyen Âge.
Si, durant le Moyen Âge, les persécutions sont surtout dirigées contre les hérétiques (Cathares ou Vaudois), c’est, curieusement, à partir des Temps modernes, après la découverte des Amériques, au moment où commence à poindre l’Humanisme et où l’imprimerie fait son apparition, que commence cette persécution que d’aucuns et particulièrement les féministes ont qualifiée de sexiste (probablement la seule de l’histoire), que d’autres ont appelée génocide. Il faut noter que les estimations du nombre des victimes des historiens d’aujourd’hui ne prennent en compte que les personnes décédées durant les séances de torture ou sur les bûchers et non celles qui sont mortes des suites de la torture, consentie et même explicitement demandée dans plusieurs bulles pontificales[réf. nécessaire] par, et qui pourraient avoir été plusieurs centaines de milliers[réf. nécessaire]. C’est, en quelque sorte, quand le monde de l’époque se globalise, dirait-on aujourd’hui, que le phénomène prend de l’ampleur. Il semble que la peur que cette globalisation suscite ne puisse être l’unique raison qui pousse à diaboliser un sexe et à l’utiliser comme bouc émissaire.
Si l’on remarque par ailleurs le fait qu’à la même époque deux corps de métiers vont jouer un plus grand rôle économique, ceux des médecins et des clercs, on comprend que les femmes, qui jouissaient d’une liberté plus grande qu’on ne pouvait le croire quant à l’exercice d’un métier jusqu’à la fin du Moyen Âge, puissent avoir été visées par la menace d’éventuelles persécutions, les convainquant de se retirer dans leur foyer et de renoncer à toute activité en dehors de celui-ci.
Supplices de sorcières.
Gravure illustrant le Laienspiegel d’Ulrich Tengler (Mayence, 1508).
Si le terme « génocide » n’est apparemment pas le plus approprié, de nombreux féministes définissent aujourd’hui cette traque à la sorcière comme un crime contre l’humanité, certaines, comme par exemple sur le site Sisyphe, précisant que c’est un gynécide. Un manuel rédigé par deux Dominicains fut publié au XVIe siècle pour établir les critères permettant de le perpétrer, le Malleus Maleficarum ou Marteau des sorcières. Celui-ci n’a jamais été désavoué, de même que jamais jusqu’à ce jour ce crime n’a été officiellement reconnu comme tel par les autorités religieuses qui l’ont commis.
Les femmes des classes privilégiées échappèrent aux persécutions, même si le scandale éclaboussa parfois la Cour, comme ce fut le cas lors de l’affaire des poisons, et Catherine de Médicis n’hésita pas à en utiliser pour éliminer quelques personnages politiquement gênants de son entourage.
Les « chasses aux sorcières » connaissent deux vagues : la première de 1480 à 1520 environ, puis la seconde de 1560 à 1650. Mais dès les années 1400-1450, le portrait de ce qui deviendra une « image d’Épinal » par la suite se dessine, et les dernières persécutions se terminent vers la fin du XVIIe siècle. Les dernières brûlées en Europe sont Anna Göldin dans le canton de Glaris de la Suisse protestante en 1782, et une ou deux autres en 1793 dans la très catholique Pologne, au XVIIIe siècle donc. Alors qu’on associe généralement plus volontiers Moyen Âge et sorcellerie, les XVIe et XVIIe siècles ont connu les vagues de persécutions les plus horribles. Auparavant les sorciers sont des hommes et des femmes, les procès en sorcellerie deviennent presque exclusivement à l’encontre des femmes. Le paroxysme est atteint lorsque les tribunaux civils supplantent ce monopole d’église.
Le pasteur allemand Anton Praetorius de l’église réformée de Jean Calvin édita en 1602 le livre De l’étude approfondie de la sorcellerie et des sorciers (Von Zauberey und Zauberern Gründlicher Bericht) contre la persécution aux sorcières et contre la torture.
Changement de point de vue à l’époque moderne
Le premier à réhabiliter les sorcières fut Jules Michelet qui leur consacra un livre en 1862. Il voulut ce livre comme un « hymne à la femme, bienfaisante et victime ». Mais il ne leur reconnaît pas véritablement le droit à l’émancipation. Il faut attendre les mouvements féministes des années 1970 pour voir apparaître le thème sous un jour positif. Les représentantes de ces mouvements s’en sont emparé et l’ont revendiqué comme symbole de leur combat. On notera par exemple la revue Sorcières de Xavière Gauthier, qui étudiait les « pratiques subversives des femmes ».
La sorcière est montrée sous un jour favorable à travers de nombreuses œuvres de fiction et les membres de la Wicca se revendiquent comme les héritiers d’un culte auquel auraient appartenu les sorcières du temps des persécutions.
Certains des chrétiens attachés à une interprétation littérale de la Bible peuvent ne pas partager cet engouement du fait du commandement exigeant de mettre à mort les magiciennes.
Sorcière des légendes et carnavals
L’image de la sorcière et courante dans les carnavals, comme dans les contes et légendes
Sorcières fictives
Sorcières dans les œuvres de fiction
- Médée
- Circé
- Baba Yaga
- Samantha et sa famille dans Ma sorcière bien-aimée
- les héroïnes de Charmed
- Kiki et quelques personnages secondaires de Kiki la petite sorcière
Bibliographie
- La sorcière, Jules Michelet
- La sorcière et l’occident. La destruction de la sorcellerie en Europe des origines aux grands bûchers, Guy Bechtel, Paris, Plon
- Histoire des croyances et des idées religieuses, Mircea Eliade, Payot
- La peur en Occident, Jean Delumeau (un chapitre sur le caractère sexiste de cette persécution, où il précise que les hommes sont exécutés pour hérésie et les femmes pour sorcellerie disant qu’entre les deux se distingue la même différence qu’entre le droit commun et le prisonnier politique)
- Le streghe, roghi, processi, riti e pozioni, Vanna de Angelis, Piemme 1999
- La sorcière au village, 15ème-18ème siècle de Robert Muchembled. Chez Gallimard, collection Histoires.
- Le sabbat des sorcières de Carlo Ginzburg, chez Gallimard, collection « Bibliothèque des histoires ».
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